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Versions / Scripts Exposition de groupe autour du texte « La Fortune » dans « l’Expérience intérieure » de Georges Bataille. Une invitation d’Elise Leclercq Bérimont et de Céline Marique, Espace RTT, Bruxelles, 2008

text de Evgenija Wassilew

« (la poésie…) le sacrifice où les mots sont victimes. » (Georges Bataille)

Bataille écrit par nécéssité. Il est un écrivain de l’intensité, et il veut être lu dans l’intensité. Je me posais davantage la question du rapport que l’écrivain entretient avec l’écriture, c’est à dire: l’acte d’écrire, et, par conséquence, d’être lu. Bataille, dans «La Fortune», me semble-t-il, décrit une agitation intérieure, l’urgence de se donner au risque de se perdre, et il veut être lu, non dans la passivité, mais dans le trouble. Telle qu’une ébauche existentielle, les paragraphes de « La Fortune » sacrifient leur cohérence pour alterner les mouvements telle que l’excès et le retrait.

Je me souvenais alors d’un tracé graphique sur une bande de papier, la ligne graphique d’un dérèglement rythmique du coeur, mimant sensiblement un brouillon manuscrit à la main, nerveux et illisible. Cette « écriture du coeur » traduit en fait la tension électrique sondée par trois points disposés sur le corps, à l’aide d’un électrocardiographe d’un défibrillator. Aux Urgences, j’ai cherché à écrire à l’aide de la machine, avec le battement de mon coeur. Ayant reconfiguré la machine de façon à ce qu’elle enregistre simultanément l’activité de mon coeur et la tension de la main en train d’écrire, je recopiais le texte dans son intégralité. Retranscrire un texte à la main, c’est une tentative d’immersion, entrer dans la syntaxe, par sa propre écriture, par son propre rythme.
Simultanément, l’électrocardiographe re-écrit le texte par la ligne du coeur, sur une bande de papier. Les mouvements de l’écriture influent, se superposent au tracé cardiaque, chaque mot, sur la bande obtenue, se traduit, se lit telle qu’une vibration, un léger tonnerre du coeur, suivant sensiblement l’intensité, le rythme, l’amplitude conferée aux mots lors de leur recopiage. Je cherchais à me mettre dans une situation qui, tant du point de vue métaphorique que conceptuel, me rapprocherais de la condition de l’auteur, et du lecteur.

« Tandis que j’écrivais, l’ennui vint. Le récit commencé demeurait, sous mes yeux, noirci de ratures, avide d’encre. Mais de l’avoir conçu me suffisait. D’avoir à l’achever et n’en attendant rien, j’étais déconcerté. » (Sur un sacrifice ou tout est victime, G.Bataille)

 

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